Erlebnisbericht

Dieser Beitrag ist nur in Französisch verfügbar.

Monique Raemy: Ma petite vie actuelle au Burkina Faso

2010/2011, premier envoi

En ce moment, je vis tant de choses nouvelles, tristes, drôles et passionnantes que j’ai beaucoup de peine à mettre tout ça dans un ordre quelconque.

Passer une semaine dans une chambre de la mission/pension de Ouagadougou, avec pour seule compagnie celle du cuisinier, des deux aides de jour et du gardien de nuit m’a permis d’apprendre et de comprendre plus de choses que lors de mes dix derniers voyages au même endroit. J’ai eu enfin assez de temps pour de vraies discussions et pour parler des difficultés privées de mes amis. Un dimanche complet passé avec quelques étudiants de l’université m’a également fait voir beaucoup de choses sous un nouvel angle. Les discussions rudes, âpres et très intéressantes m’ont laissé un goût de déjà vu/entendu et rappelé les années blanches catastrophiques du début de ce siècle.

Les employés et les étudiants sont d’accord sur un point; tous disent: «Ça ne peut pas continuer ainsi, une fois ou l’autre ça va péter!» Et voilà qu’une altercation entre civils et policiers a de nouveau fait deux morts, à Gao cette fois! Malheureux fait divers répercuté par toute la presse du pays, tout comme le départ des Américains du Peace Corps qui depuis quelques années patrouillaient au Yatenga, le long de la zone frontière avec le Mali et le Niger. Ils ont été rappelés d’urgence et se trouvent maintenant à Ouaga, sous la protection de l’ambassade des Etats-Unis. Selon un communiqué émanant des Américains, al-Qaïda rencontrerait actuellement tellement de problèmes en Mauritanie, au Mali et au Niger que son infiltration au Burkina est pratiquement certaine…

Si, dans le village de Songpelsé où nous œuvrons depuis plusieurs années, l’eau est tellement rare qu’on voit carrément le mil sécher sur place sans grandir d’un pouce, à Ouaga il pleut des trombes! Avec mon amie Claire, nous revenions justement de ce village lorsque le vent s’est levé et que la pluie s’est mise à tomber. Incroyable, on voit littéralement les maisons s’écrouler; les gens sont hagards et la plupart ne bougent plus, accrochés les uns aux autres de peur de tomber dans un trou. Après 4 minutes environ, l’eau atteignait déjà la porte de notre 4×4. Ceux qui n’ont pas la chance d’avoir un véhicule haut et stable avec portes et fenêtres quittent leur engin au milieu de la chaussée et tentent de se sauver. On voit dans cette panique que le souvenir des grandes inondations meurtrières du 1er décembre 2009 sont encore dans toutes les mémoires. Claire avait très peur, mais elle a bravement évité tous les obstacles et nous sommes arrivées à bon port, soulagées et contentes. L’eau nous arrivait encore à mi-mollet et la demi-minute pour atteindre la véranda a suffi pour que nous soyons complétement trempées.

Une autre expérience a été de virevolter à moto dans la capitale! C’est tout autre chose qu’à Ouahigouya où j’avais déjà essayé quelquefois. Ici, il faut (1) être très attentif, car les autres usagers de la route arrivent de tous les côtés; (2) se souvenir que la raison du plus fort est toujours la meilleure; (3) savoir qu’on peut brûler les feux rouges «parce que le dimanche, il n’y a pas de policier». Sans casque, en manches courtes, avec un gros sac et un appareil photographique, il faut se faufiler et trouver le meilleur chemin entre les camions (qui n’ont parfois pas de freins, donc ils klaxonnent), les voitures, les motos, les cyclomoteurs et les vélos (sans freins non plus), les ânes et les piétons, tout en faisant attention aux trous béants car le 90% des routes n’est toujours pas goudronné. Je vous garantis que le soir, on est vraiment content d’arriver à la maison sain et sauf!

Passer deux jours complets et une nuit toute seule dans «notre» village de Balonghin a été très bénéfique. J’y ai beaucoup appris, beaucoup vu et un peu mieux compris la vie du village. Germaine, présidente du groupement féminin, ne pouvant nous rejoindre que le soir, j’ai fait connaissance de plus près avec les autres groupements et ai pu discuter directement avec quelques villageois. Le groupement des jeunes évolue bien: depuis que nous avons soutenu l’achat des bœufs désirés, ces derniers sont mis à contribution pour les labours, ce qui facilite grandement le travail et a ainsi permis d’agrandir les surfaces cultivées. Les femmes qui avaient pu profiter de notre aide pour le projet soumbala sont très contentes, elles vont gaillardement de l’avant et profitent du petit pécule ainsi gagné pour mieux nourrir leur famille. Quant à celles qui avaient choisi de prendre un petit crédit, elles ont toutes déjà remboursé, ce qui a permis à d’autres membres du groupement de profiter d’un tel financement. Celles qui avaient obtenu un soutien pour faire du beurre de karité ont plus de peine, car faute de presse pour l’extraction de l’huile, elles font tout à la main, ce qui est incroyablement dur et difficile.
Mais ce qui est ici remarquable et encourageant, c’est que toutes ensemble elles ont réussi à obtenir un bénéfice de CFA 1’434’450, soit environ CHF 3’580.00 – sans tenir compte de leur propre travail. Après un dédommagement et une prime à toutes les travailleuses et un petit paiement sur le compte d’épargne du groupement pour parer à un coup dur imprévu, elles ont encore été en mesure d’aider lors de plusieurs cas de maladies et/ou de naissances difficiles dans le village. Les vieux dignitaires sont très fiers de ces femmes et le font savoir haut et fort. Je tiens aussi à relever ici que «notre» Germaine, âgée de 46 printemps, a réussi ses examens de fin de scolarité primaire et que c’est avec joie et émotion qu’elle a reçu son diplôme au milieu d’une nuée d’enfants.

La solidarité est partout présente dans les villages burkinabè: un homme a dormi devant ma porte pour être certain qu’il ne m’arriverait rien et deux femmes sont allées chercher pour moi l’eau au puits. Beaucoup de personnes sont venues partager le repas que j’avais préparé avec quelques aides villageoises – des pâtes bien entendu, tout le monde ici aime ça, mais il est rare de pouvoir s’en payer! Et, pendant que je montrais sur mon ordinateur portable des photographies de Suisse, (avec de la neige, bien sûr), d’autres femmes nettoyaient la vaisselle que nous avions employée pour les 50 à 60 personnes présentes, c’est-à-dire: 3 très grands plats, 2 casseroles dans lesquelles on a également mangé faute de mieux, 3 assiettes, 10 verres, 5 tasses, 2 cuillers ainsi qu’une fourchette et 1 couteau! 2 ou 3 hommes ont également aidé à empiler quelques tables-bancs d’école afin que je puisse suspendre ma moustiquaire! Je me réjouis déjà de revenir ici afin de peaufiner notre compréhension et notre confiance mutuelles.

Le Centre de Santé et de Promotion Sociale (CSPS) que nous avons subventionné dans le village de Sancé revêt, comme on s’y attendait, une extrême importance. Les services sanitaires régionaux de l’Etat y rétribuent un infirmier chef de poste et y ont même attribué un aide-infirmier. Malheureusement, il est impossible de ne pas voir les graves lacunes de cette construction, et les services sanitaires exigent une rapide mise à jour des lieux. Ce qui, d’après moi, est tout à fait justifié! Le travail de contrôle, que nous rétribuons en partie à une ONG Suisse présente en permanence au Burkina, n’a pas été à la hauteur de nos attentes. Disons-le clairement, il semble même qu’il a été inexistant! Il n’y a pas de latrines, aucune sphère privée pour les patients et la bonbonne de gaz pour le réfrigérateur est placée au milieu de la salle de désinfection. Le petit bâtiment supplémentaire que les habitants avaient construit en remerciement de notre aide a été terminé tant bien que mal par leurs soins et sert à l’hospitalisation des malades contagieux ou gravement atteints. Mais il faut reconnaître que des murs en banco non blanchis, des sols en terre battue et un toit percé sont des conditions inacceptables! J’ai tenté de faire un plan intérieur plus adapté aux besoins requis, et par chance il a reçu l’accord enthousiaste du personnel soignant. Nous attendons maintenant les devis pour les changements prévus et la construction de quatre latrines et d’une douche. Une seconde phase devrait permettre l’agrandissement et la rénovation complète du petit bâtiment, qui deviendrait ainsi une maternité reconnue pouvant bénéficier des infrastructures existantes; un devis a donc été demandé. Quant à un forage sur place qui éviterait les trajets actuels (2 km aller/2 km retour) pour aller chercher l’eau au seul point d’eau potable actuel du village, c’est une musique d’avenir remplie d’espoirs. Dommage, si l’actuel CSPS rend déjà d’énormes services, c’est une première déception qu’il est difficile d’accepter!

Si le CSPS, symbole de l’entraide des contrôles, n’a pas fonctionné comme souhaité, les nouvelles des petits groupements directement soutenus par notre association sont excellentes: le projet soumbala se déroule toujours avec succès, tout comme ceux des moutons de case et des bœufs, et le périmètre des jeunes est bien entretenu et rentable. Malheureusement, plusieurs petits projets ne sont pas arrivés jusqu’à nous, car la plupart des adultes étant analphabètes, ils demandent l’aide d’un enfant scolarisé, et comme ces derniers font de nombreuses fautes, les projets sont rejetés pour être refaits ou corrigés. Ce qui, bien entendu, ne peut pas se faire au village et coûte trop cher dans un secrétariat extérieur. Les instituteurs et infirmiers aident souvent les populations locales, mais ils ne le veulent ni ne le peuvent pas toujours. Et ainsi les petits projets passent à la trappe!

Au nom de Yam Pouiré, j’accepte donc immédiatement un petit projet bourré de fautes d’orthographe mais contenant un devis impeccable. Il s’agit d’un projet de fabrication de savons d’un coût de CFA 60’000 soit environ CHF 150.-, proposé par Martine et son groupement féminin. Quant aux autres quémandeurs, ils devront me donner quelques informations supplémentaires ou patienter, à cause du coût élevé de leur projet; d’autres demandes ont été refusées, leur utilité pour le village n’étant pas démontrée ou le nombre de personnes concernées restant inconnu. Avec l’argent reçu lors de mon départ, un mini-projet qui me tenait particulièrement à cœur a été réalisé: notre fidèle ami Josué, sa femme et ses deux enfants ont pu reconstruire leur maison détruite lors des inondations de 2009. Cette fois, la construction a été faite avec un terrassement en béton, une vraie porte et 4 «ouvertures-fenêtres». Si les briques sont toujours en banco, les murs ont été passés au mélange goudron-pétrole-sable (qui remplace actuellement le béton). Les pluies peuvent venir, la famille restera au sec! Leur joie est immense et leurs remerciements vont à tous les généreux donateurs.

A Balonghin, j’ai participé à une merveilleuse cérémonie religieuse dans une église construite en secco (100% paille tressée) par les fidèles. Lorsqu’il pleut, il y a autant d’eau à l’intérieur qu’à l’extérieur et lorsque le vent souffle très fort, les «cloisons» s’écroulent; la cloche est une vieille roue de camion sur laquelle on tape avec un gros caillou pour appeler les fidèles, et en lieu et place des orgues, il y a un tam-tam antique et une calebasse décorée. Mais ici, on chante et on prie du fond du cœur! Si quelques personnes âgées, enceintes ou handicapées ont pu prendre place sur les bancs et troncs offrant des places assises, la plus grande partie des fidèles doit rester debout, et on s’aperçoit très vite que par manque de places beaucoup de personnes participent à l’office depuis l’extérieur. Le plus grand désir de ces amis chrétiens serait d’avoir une église, une vraie, qui servirait également, comme presque toujours au Burkina, de lieu de rencontres. Le devis d’une telle construction se monte à CHF 20’000.– environ. C’est cher, mais on va voir ce qu’en pensent nos Eglises. Je rappelle que Balonghin compte 80% de chrétiens (en majeure partie catholiques). Relevons encore que les cafés et coins Internet de mon quartier de Ouaga ne sont pas vraiment fonctionnels. Soit il n’y a pas d’électricité (pannes fréquentes), soit il est impossible de se connecter par manque de lignes. J’ai donc fait l’acquisition d’une clé USB de connexion à distance, mais ça n’a pas fonctionné non plus. Un «expert» m’a gentiment informée qu’avec des ordinateurs aussi performants que les nôtres, cela ne fonctionnerait jamais! Mais «ce que femme veut…», je me suis attelée à la besogne et après 3 heures de lutte intense, j’ai gagné la bataille. Je suis connectée!!

J’allais oublier, il fait chaud, très chaud! En juin/juillet nous avons eu entre 38 et 45° C le jour et entre 28 et 35° C la nuit. Il a fallu recommencer les semis par manque de pluie et, comme d’habitude, le prix des denrées alimentaires s’est envolé…

Malheureusement, les prochaines élections présidentielle n’ont pas l’air de devoir y changer grand-
chose, et la modification d’un article constitutionnel voulue à tout prix par la présidence mais refusée vigoureusement par le peuple ne laisse pas présager de lendemains qui chantent, tout comme l’éternel manque d’un contrôle efficace lors de la distribution des dons offerts par les gouvernements étrangers, la banque mondiale, la FAO ou autres. Rappelons-nous ici l’excellente phrase de Dom Helder Camara: «L’aide étatique au tiers monde est le cadeau des pauvres des pays riches au riches des pays pauvres.»

Ouaga/Ouahigouya début août 2010 – Yam Pouiré, 8602 Wangen Monique Raemy

2010/2011, 2e envoi

Voilà, j’ai quitté le plateau central pour le Yatenga. C’est à Ouahigouya, ville principale de cette province que je passerai la plus grande partie de mon séjour. Avant le départ, achat de quelques ustensiles de cuisine, gobelets, seaux divers, assiettes et autres, on ne sait jamais! Voyage sans histoire mais qui me laisse songeuse: lorsqu’on vient en hiver, tout est sec et la terre rouge est visible partout, mais maintenant tout est vert, les baobabs ont leurs feuilles et sont ainsi presque méconnaissables, les acacias mettent des touches de couleur jaunes et rouges et dans les grandes flaques d’eau qui stagnent depuis la dernière pluie, des enfants se baignent en riant, inconscients des graves danger qu’ils font ainsi courir à leur santé. Dans d’autres points d’eau, de grands troupeaux sont venus s’abreuver, les vaches sont maigres, elles n’ont que la peau sur les os; il paraît que les pluies, arrivées trop tardivement, avaient tellement raréfié l’herbe qu’elles ne trouvaient plus rien à brouter, et ici, il n’y a bien sûr pas de fourrage prévu. Beaucoup de têtes de bétail ont été abattues avant de mourir de faim et ont ainsi pu servir de nourriture aux humains. Une association a racheté les animaux mourant aux propriétaires et a donné la viande à manger aux populations sur place. Excellente idée, les gens amélioraient ainsi un quotidien difficile et les bergers pouvaient racheter du bétail.

L’arrivée à la maison» se fait en fanfare! Tout le bureau de Burkina Vert est là à m’attendre, embrassades et rires de joie! Rabi a mis des rideaux et aménagé un coin cuisine avec un réchaud à gaz, Doudou a ajouté un robinet d’eau mais il n’y a pas d’évier… Le premier des seaux achetés trouve sa place! Une chambre à coucher avec un grand lit placé juste entre les deux ouvertures/fenêtres permettra d’avoir un peu d’air dans les grandes chaleurs et d’être en plein courant d’air lors des orages. Grand luxe, douche et WC sont à l’intérieur. La terrasse a un toit et deux pare- vent en secco. Il y a quelques chaises en plastique et une table basse qui passent de la terrasse au salon et vice-versa, selon l’heure et le temps. Dans un coin du salon trône une petite table bois/acier avec un tiroir, probablement la table d’une vieille machine à coudre, désormais, ce sera mon bureau! Le jardin est en cailloux-gravier rouge et clôturé par un mur sur lequel se prélassent margouillaz, geckos et autres lézards.

La soirée se passe chez Doudou, le secrétaire général et initiateur de Burkina Vert autour d’un excellent repas préparé par Rabi, sa femme: un ragoût de patates douces, tomates, oignons, ail et persil avec de la viande de bœuf fait suite à une salade concombres/tomates à l’aïoli, on termine avec une banane; sauf la banane, tout est de Ouahigouya et sauf la viande, tout provient des divers jardins mis en place par Burkina Vert.

Dès le lendemain, on me met dans le bain! Les visites impromptues aux villages ou aux paysans en plein travail me démontrent une fois de plus le travail inlassable de ces populations du Nord, et, n’en déplaise à certains, pas seulement celui des femmes. Les saisons étant de plus en plus capricieuses, il est très difficile de continuer les productions céréalières comme cela se faisait jusqu’à maintenant et certains se lancent dans une production maraîchère répartie sur toute l’année.
Il faut savoir que jusqu’à ces dernières années, les céréales, tel que le mil indispensable à la confection du tô – plat national, et souvent unique pour les pauvres – étaient semées au début de la saison des pluies, vers le mois de juin. Cette année la pluie de juin a été bonne sur tout le pays, la plupart des paysans ont donc fait leurs semis, mais si sur le reste du pays les pluies ont bien continué, sur le Yatenga elles ont cessé. Les semis ont été brûlé par le soleil et il a fallu recommencer début juillet aux secondes pluies; ces dernières n’ayant pas été suivies d’autres non plus, un troisième semis a été nécessaire, ce que beaucoup de petits paysans n’ont plus pu faire par manque de moyen. Sur la route entre Ouahigouya et Ouagadougou, la différence saute aux yeux: dans le Yatenga, mil et maïs sont encore très bas (20 à 30 cm), et d’un coup on voit des champs de belles céréales hautes (plus d’un mètre), là où où il a plu assez et régulièrement. Dans notre région, il faudra maintenant que les pluies durent jusqu’en octobre pour garantir de bonnes récoltes. J’admire de plus en plus le courage de tous ces cultivateurs travaillant sans relâche sans jamais, ou presque, perdre espoir.

Anecdotes et découvertes Découverte du jardin d’Eden, ici il y a un bas-fond qui fait que tout pousse. Je découvre un petit lac de retenue entouré de rizières annuelles dans lesquelles travaillent quelques personnes; il y a aussi des manguiers, des papayers et des grenadiers en fleurs, des goyaviers et même des bananiers portant des fruits; le serpent est aussi là, qui file entre nos pieds, mais nous ne trouverons pas la pomme! Un ingénieux système de puits, de tuyaux et de pompe mobile permet des plantations jusque très loin du lac. On y trouve du mil, du sorgho, du maïs et du sésame; un homme perché sur un arbre fait peur aux oiseaux en gesticulant et en sifflant pour qu’ils ne mangent pas tout avant les récoltes. Des enfants en haillons, mais heureux et souriants, viennent serrer la main de la nàsáara que je suis. Mais il fait trop chaud, je ne verrai pas les crocodiles qui attendent la venue du crépuscule pour sortir de leur cachette. Je préfère, car ainsi je continuerai à rêver du jardin d’Eden au lieu de cauchemarder! Un regard inoubliable, celui d’une petite fille rencontrée au Centre de Renutrition et d’Education Nutritionnelle (CREN) de l’hôpital du Dr Zala. J’étais venue distribuer une partie des magnifiques petits chaussons confectionnés par une habitante de Wallisellen et des petits bonnets offerts par ma voisine de Wangen. Les mères, les aides, les responsables, tout le monde admirait ces petites merveilles bien chaudes et indispensables, on essayait les tailles et les enfants souriaient, sauf un qui hurlait à chaque fois que je m’approchais, persuadé que ma couleur pâle ne pouvait être que celle d’une sorte de diable. Et là, assise sans bouger mais attentive à ce qui se passait se tenait une mini-princesse, très belle, très fine. Elle se laissa mettre un bonnet de dentelle blanche sans bouger. Ses yeux si sérieux fixés sur moi, elle regardait simplement, sans aucune réaction. Mes vaines tentatives de rapprochement ont provoqué une explication très plausible de son cas par la directrice: née normalement dans un village reculé, elle progressait comme tous les enfants; mais sa très jeune mère, à nouveau enceinte alors qu’elle n’avait que quelques mois, crut les racontars de ses voisines et cessa immédiatement de l’allaiter, elle ne la prit plus non plus sur sa couche la nuit ni dans son dos lorsqu’elle pleurait, prétextant qu‘ il fallait qu’elle apprenne à donner sa place au suivant. Probablement fortement choquée par ces brusques changements difficiles à comprendre, la fillette ne voulut plus s’alimenter du tout et cessa de rire, de pleurer et de se manifester. C’est complètement sous-alimentée qu’elle est arrivée à l’hôpital avec sa mère qui venait pour y accoucher de son deuxième enfant. A les voir l’un à côté de l’autre près de leur mère, toute fière de son bébé joufflu qui a maintenant 3 mois, on dirait presque des jumeaux. La petite famille a dû rester ici sur demande du Dr Zala à cause de l’état de la petite fille. Tout comme les responsables du centre, je pense que cette enfant veut mourir, c’est une forme de suicide enfantin qui existe sous ces latitudes et qui aurait réussi s’il n’y avait pas eu la naissance du petit frère. Je n’oublierai jamais ce regard sans espérance ni attente. Petite princesse, tu restes au fond de mon cœur, et cela fait très mal de ne pas savoir comment t’aider, mais je reviendrai te voir à cause de la lueur d’intérêt que je veux avoir vue dans tes yeux.

Fête du 1er août. Une fête nationale ça se célèbre, surtout ici! Pas question d’aller à une cérémonie officielle à Ouaga, alors je lance une invitation à mes voisins, au Dr Zala et à sa femme ainsi qu’aux amis de Burkina Vert. Tous sont venus, c’était aussi amusant qu’inattendu, M. Benoît Belloum, époux de Madame le ministre prénommée Cécile, est venu en grande pompe avec une bonne bouteille, le docteur Zala se réjouit avec moi de la boire! Mes voisines n’ont malheureusement fait qu’une apparition et sont reparties devant la fougue et les rires des jeunes de Burkina Vert. Rabi avait préparé une entrée d’aubergines grillées et j’ai fait une salade rouge et blanche: macaronis / tomates! Tout le monde s’est régalé, et même si les seuls feux furent ceux de la lune et des étoiles, les rires ont fusé encore longtemps dans la nuit. S’il n’y a pas eu de discours officiel, beaucoup de questions m’ont été posées à propos de la Suisse et de sa démocratie directe, il aurait été judicieux que je récapitule mon histoire suisse avant de venir!

Désastres petits et grands. Le plus difficile à vivre ici, ce n’est ni la chaleur parfois suffocante, ni les pluies diluviennes, ni le paludisme pratiquement inévitable, ce ne sont pas non plus les insectes de toutes sortes ni les serpents, mais bien la misère omniprésente. Chaque jour apporte son lot d’incompréhensions: sur les conseils de villageois bien intentionnés, une jeune fille enceinte a mangé du verre pilé afin de provoquer un avortement et est décédée dans d’atroces souffrances. Un jeune de 20 ans est mort parce que l’infirmier était persuadé qu’à cette période de l’année c’était un palu, alors que c’était une jaunisse. Mais tous les infirmiers sont débordés de travail car les gens n’ont pas les moyens d’aller chez un médecin. Il y a longtemps que les orpailleurs hantent et creusent le Burkina. En cette période de pluies, les mines devraient être fermées à cause des dangers inhérents aux galeries non stabilisées, mais chaque semaine plusieurs jeunes y perdent la vie par manque de contrôle et d’information. Les gros camions, sortes de crabes énormes arrivant en travers de la route car mal chargés sont souvent sans freins. Malgré les interdictions, ils transportent sur leur toit des jeunes arrimés tant bien que mal à des cordes ou autres vélos posés là aussi et ils traversent ainsi villes et villages sous le regard impassible des policiers et de la gendarmerie. L’hôpital de Ouahigouya n’est bientôt plus fonctionnel, cela fait deux mois que la section de biochimie, intervenant à 80% dans les diagnostics ne fonctionne plus, soit que le matériel soit en réparation, soit que les installations électriques sont inutilisables: impossible de faire des cultures avec les échantillons. En hématologie l’appareil principal est en panne depuis six mois et depuis trois semaines l’unique appareil de radiologie de toute la région Nord est inutilisable, il faut aller à Ouaga. Il n’existe plus non plus d’incinérateur pour les déchets et les climatisations ne fonctionnent plus.

Clin d’œil. Mes petites voisines sont venues m’aider à planter des arachides dans mon jardin car je ne sais pas à quoi ça ressemble quand ça pousse, ce qui les amuse beaucoup. On en a profité pour enlever toutes les herbes folles en faisant bien attention de ne pas mettre la main sur un crapaud ou sur une des nombreuses énormes chenille, ni le pied sur un bébé margouillaz. Une très vieille dame m’ayant vu faire des photos et discuter dans le village de Kénéméné a trouvé qu’il fallait recevoir cette étrangère un peu mieux et lui offrir à boire; elle est allée tout exprès chercher une calebasse d’eau au puits et me l’a apportée des deux mains dans un énorme sourire. Elle a été très déçue, et aussi un peu perplexe, en apprenant que je ne pouvais pas boire cette eau. Mais la prise de quelques photos avec elle a tout remis en ordre! Un énorme crocodile a semé la panique dans un quartier de Ouaga. Suite aux pluies inondant de grandes parties de la forêt de la capitale, ce saurien a décidé de sortir de ses habitudes et de partir à l’aventure; il a fallu plusieurs personnes et beaucoup de patience pour le remettre dans le droit chemin. Nous sommes en plein jeûne du Ramadan; chaque nuit je suis bercée par la voix des muezzins des diverses mosquées, le jour je mange seule ou presque, mes amis ne mangeant qu’avant 5 h 30 et après 19 h. Tout le monde tourne dans l’attente de la grande fin du jeûne, car les femmes et leurs filles doivent avoir un nouveau pagne et les hommes et leurs fils seront habillés de blanc. Rabi est allée acheter deux pagnes semblables et nous avons fait faire des robes. En ce moment, c’est la période des cadeaux: on offre aux voisins et aux amis musulmans du sucre et/ou du sel en signe d’amitié.

omme vous voyez, je continue d’apprendre et d’essayer de comprendre. Je vis chaque jour
pleinement et je m’étonne encore et toujours des espoirs tenaces chevillés au corps de mes amis, envers et contre tout.

Ouahigouya fin août 2010 – Yam Pouiré, 8602 Wangen Monique Raemy

2010/2011, 3e envoi

C’est très difficile de faire partager ce que l’on ressent lorsqu’on est confronté à des problèmes pratiquement inexistants sous nos latitudes. Pourtant j’aimerais partager avec vous l’admiration, le respect et les découvertes que j’ai, respectivement que je fais chaque jour ou presque avec Burkina- Vert au sein des villages et dans les groupements soutenus par nos efforts conjugués.

Les diguettes: idée reprise en fait de leurs ancêtres et améliorées au fil du temps par nos amis paysans et des ingénieurs agricoles, est la manière de faire la plus efficace qu’il m’ait été donné de voir pour récupérer des terres dégradées. Mises en place ces dernières années dans plusieurs villages des provinces du Loroum, du Yatenga et du Zandoma, elles ont déjà permis de récupérer environ 250 hectares de terres dégradées dans ces régions. D’autres villages attentent impatiemment l’appui qui leur permettra de commencer un tel travail.

Comme les pluies ne se font pas bien, on construit ces diguettes en suivant les dénivelés du terrain, ce travail se fait avec une sorte de balance à eau de construction artisanale. De gros cailloux sont apportés sur le site par camion, quelques hommes les cassent en gros morceaux pendant que d’autres tendent des « fils » le long des endroits choisis par ceux qui travaillent avec le niveau d’eau. Pendant ce temps les femmes amènent sur leur tête les morceaux de cailloux que tous, enfants compris, déposent le long des « fils ». Ces diguettes sont construites dans le sens d’arrivée de l’eau pour la freiner et éviter ainsi la formation de ravines. Puis on fait des zaïs, c’est-à-dire des trous de plantation qui accueilleront les semis.

Les demi-lunes: lorsque le terrain est trop dégradé pour tenter de le reprendre en entier, on forme des demi-lunes au moyen des mêmes cailloux en employant pour cela une espèce de moule et en les plaçant aussi dans le sens d’arrivée de l’eau pour la freiner. Parfois même, elles sont aménagées derrière une diguette.

Ces deux façons de procéder m’ont été une nouvelle fois démontrées avec succès, alors que le mil et le maïs ne poussaient pas dans les champs de la région par manque de pluie ou parce que l’eau arrivée trop fortement sur des semis trop petits avait tout arraché, les plantations faites dans l’enceinte ou derrière des diguettes ou celles poussant au sein des demi-lunes sont magnifiques. Dans les endroits où les diguettes ont été faites il y a quelques années déjà, les terrains sont maintenant cultivables et près des cailloux, sur le côté où l’eau arrive, poussent des arbustes et autres herbes tel les andropogons qui peuvent être employé, entre autre, à la fabrication du secco >sorte de paille tressée employée pour ombrager les terrasses, en tant que porte ou même comme toit.

Dernièrement, nous sommes allés voir un paysan qui, après avoir suivi une formation adéquate, a fait des diguettes pratiquement tout autour de la petite montagne dominant son village. Lorsqu’il était enfant, la forêt recouvrait la région et les animaux sauvages étaient encore présents. Puis, les grandes sécheresses qui avaient brûlé terre et arbustes ayant été suivies par de grandes pluies que la terre devenue trop dure n’arrivait pas à absorber, les ravines ont mis les racines des arbres à nu, et ces derniers sont mort lors de la sécheresse suivante. C’est ainsi que de cet endroit devenu désertique, il refait un endroit prometteur. Le village entier l’a tout d’abord traité de fou, maintenant ils sont fiers de lui! Des diguettes de protection, des demi-lunes remplies de beaux maïs et de mil imposant, des revers de terrain plein de haricots et de manioc et partout des arbres. 400 arbres sortis des pépinières de Burkina Vert lui ont été donné, des arbres fruitiers ou utiles comme le neem et le jatropha et le prosopis. Notre homme est également allé en brousse chercher une centaine d’autres arbres autochtones dont certains serviront pour la préparation de médicaments traditionnels. Entre les rangées de maïs poussent des callebasses, afin que les produits locaux puissent tenir tête au plastique chinois qui envahi le pays.
Toutes ces réussites nous prouvent le bien-fondé de nos aides directes à ces populations défavorisées. L’accueil reçu est toujours extraordinaire, tous veulent toujours montrer ce qui a été fait avec l’appui reçu et le travail des les villages en est décuplé. A You, après les palabres d’usage, les femmes ont dansé devant le moulin à grains, heureuses d’avoir grâce à lui plus de temps à disposition pour leurs familles et d’autres activités peut-être un peu lucratives. Les 2 meunières et le mécanicien sont très fiers de leur outil de travail et le bichonne! C’est aussi ici que nous allons voir une « merveilleuse » construction: l’école! Ce bâtiment a été construit par les parents car le trajet de 8 km jusqu’à la prochaine école était trop long pour les petits. De plus, lorsque les classes dépassent la centaine d’élèves, on fait attendre les plus jeunes qui ne commenceront ainsi l’école que vers 8 ou 9 ans. La construction a été faite en banco (briques traditionnelles en terre) avec un toit et une porte en secco (paille tressée). Les bancs-tables ayant été offerts ainsi que le tableau noir et les fournitures scolaires, l’état a donné son accord et envoyé un instituteur. C’est ainsi que l’année dernière, 72 élèves ont pu commencer l’école. Les résultats étant bons, le ministère a envoyé un 2e instituteur et sous l’auvent prévu pour donner de l’ombre aux élèves pendant les récréations, une 2e classe ouvrira « ses portes » (au figuré bien sûr). 74 nouveaux élèves sont déjà inscrit, les parents et les instituteurs se sont mis au travail pour monter des murs de banco autour de l’auvent, des tables-bancs ont été achetés et la semaine prochaine nous remettrons aux élèves la fourniture scolaire obligatoire. Le rêve de tous, instituteurs, élèves et parents, c’est bien entendu d’avoir un jour une « vraie » école, avec des murs qui ne s’écroulent pas lorsqu’il pleut et la certitude de pouvoir rester au cours lorsque la pluie se met à tomber… Le bâtiment servirait alors à fonder une petite maternelle…. On verra ce que l’on peut faire….
Avec Doudou, mon fils et secrétaire de Burkina-Vert, nous avons été reçu à la Coopération Suisse, dans les bureaux de la DDC à Ouagadougou. Voyage aller/retour en un jour avec le chauffeur Boukary et un ami, Max Cohen, qui a longtemps été responsable de la richissime Fondation Cognacq-Jay. Ce rendez-vous que j’avais demandé pour obtenir un soutien de 3 à 5 ans pour la construction de diguettes dans nos régions était prometteur puisque Madame von Schulthess, nouvelle Directrice Résidente Adjointe et Monsieur Traoré responsable du domaine technique rurale allaient nous recevoir à 11h. A 10h55 nous étions dans les starting blocks et à 11h05 on nous faisait entrer accompagnés de tous nos espoirs. Après les présentations d’usage, Monsieur Traoré a reçu la parole et nous a expliqué pendant 25 minutes le fonctionnement de la Coopération pour l’aide aux villages paysans. Pour lui, seule la technique des goutte-à-goutte est valable en ce moment pour le monde rural. Je ne nie pas, Doudou ayant été le premier à faire des essais dans le Yatenga et Taonsgho, village du Plateau-Central que nous soutenons avec Claire Rouamba en ayant « reçu » avec tout ce que cela comporte. A ma question de savoir comment les gens trouvaient l’argent nécessaire à l’achat de la pompe lorsque tuyaux et formation sont offerts, Monsieur Rouamba m’a répondu catégoriquement que: «tous les habitants de tous les villages ont un portable et pratiquement tous une moto. Dixit: s’ils veulent vraiment, si on les persuade, ils y arrivent!» Vraie réponse d’un consultant hors du circuit de la base. J’ai invité nos représentants à venir voir dans nos villages du Yatenga et du Loroum si tout le monde a effectivement un portable, respectivement une moto! Ce n’est pas pour rien que vu l’impossibilité de Taonsgho à trouver l’argent nécessaire nous avons pris contact avec le producteur/initiateur des goutte-à-goutte dans cette région. Ce dernier nous a dit qu’il savait les gros problèmes que rencontrent les paysans contents d’avoir reçu gratuitement un mini château d’eau, beaucoup de tuyaux et une formation, mais qui se retrouvent le bec dans l’eau pour commencer le travail sans la pompe pendant que les puits d’irrigation qui n’ont pas été cimentés dégringolent. Il ajoute que malheureusement il ne peut ni ne doit ni n’a le droit de faire plus, il rend juste les gens attentifs au fait qu’ils peuvent se faire aider par leur partenaire « habituel »? ou par une quelconque association d’aide présente sur le Burkina. Pour ma 2e question, c’était trop tard, le temps qui nous était imparti étant terminé, une nouvelle séance commençant à 11h45. Ma question, je l’ai maintenant envoyée par mail à Madame von Schulthess: nous aimerions bien savoir comment le procédé du goutte à goutte pourrait être installé sur des terres pentues ou ravinées, alors que 4 des 5 installations mises en place ici au Yatenga sur des terrains plats sont déjà abandonnées. Mais c’est quand même avec espoir que nous attendons maintenant la réponse de «mes» autorités.
A part ça , ma petite vie burkinabè continue d’être accompagnée d’un soleil de plomb et de quelques trombes d’eau qui rendent la chaleur plus difficile à supporter. En fait, je suis trempée du matin au soir, 10 minutes après la douche on est déjà collant!

Max, nouvel ami rencontré ici après que l’on se soit connu par mails et téléphones interposés trouve que notre aide est très importante et bienvenue auprès des plus pauvres. Cela fait plaisir à entendre de la part de quelqu’un qui a tourné longtemps sur l’Afrique en construisant hôpitaux et autres grandes « choses »pour une fondation aussi riche que celle de Cognacq-Jay. Max, maintenant à la retraite se concentre sur le Burkina et les 2 maisons qu’il y a crées à Ouahigouya pour quelques jeunes démunis, respectivement pour quelques femmes atteintes du sida.

Nadège, ma jeune voisine burkinabè qui est infirmière brevetée (comme ils disent ici), et qui travaille pour une association helvetico/burkinabè basée à Ouahigouya vient souvent me rendre visite. Ses journées sont souvent difficiles car elle a beaucoup à faire avec les filles mères. Au cours de ses récits, j’ai ainsi appris que le gouvernement faisait réellement un immense effort pour faire cesser la pratique de l’excision. La semaine dernière, vendue par de tierces personnes une exciseuse a été appréhendée par la police et immédiatement emprisonnée, ses « aides » ont été retrouvés et également incarcérés. De toutes les très jeunes filles et fillettes que je côtoie, une seule a été excisée. Les efforts conjugués contre cette barbarie semblent donc enfin porter des fruits définitifs. Par contre la morale semble en baisse, il n’est pas rare de voir des jeunes lycéennes enceintées par un camarade de cours….elles ont été payés entre 5 et 10’000 CFA (12.50 à 25.- CHF) par le garçon. Lui voulait « essayer », elle voulait une nouvelle robe!!! Les filles doivent quitter la cour parentale lorsqu’elle sont enceinte, elle iront chez une grand-mère maternelle ou une tante. Fini les études, c’est un éloignement immédiat mais pas toujours long car après la naissance elles pourront revenir chez leur parent. Le garçon ne doit jamais rien payer, même s’il reconnaît être le père de l’enfant. Si plus tard la jeune mère trouve un mari, il y a fort peu de chance pour que l’homme accepte ce premier enfant. Celui-ci trouvera donc place dans une cour de la grande famille, quelque part au Burkina. Si un enfant n’est effectivement jamais laissé à la rue dans ce pays, je trouve que ces situations sont quand même difficile pour le/la principal(e) intéressé(e). Ce sont d’ailleurs presque toujours eux que l’on retrouve comme bonne à tout faire ou garçon de course et que l’on « oublie » faute de moyens d’envoyer à l’école.

Mais je terminerai ce billet par une note chantante… Aujourd’hui j’ai eu le plaisir de retourner à l’école de You. Avec l’argent reçu de quelques amis, j’ai pu acheter les fournitures scolaires de tous les enfants. Ardoises, cahiers doubles lignes, lignés, quadrillés et à dessin, crayons, règles et stylos « bleu », les « rouges » étant réservés aux instituteurs. Tous les parents étaient là malgré les travaux des champs qui battent leur plein, mes très maigres notions de mooré ont mis de l’ambiance dès le début. La distribution avec petits tas soigneusement préparés et appel des élèves s’est terminée faute de… cahier et de crayon! Le calcul des instituteurs ou une fausse interprétation de celui qui a fait la demande? On ne saura pas. Mais lorsqu’on a dit que les choses manquantes seraient apportées dès demain et que l’on a commencé une distribution de bonbons à tous, parents compris, la fête a repris de plus belle. Tout cela dans une classe sous du secco et dans une autre sous des sacs de riz tendus, c’est-à-dire avec une température d’environ 40°…je ne m’épongeais même plus, j’ai carrément pris une douche dég…oulinante de la racine des cheveux aux pieds. Lors des remerciements, le «vieux» a dit: «puisque vous nous lavez le dos, nous nous laverons le ventre» je n’ai pas osez relever, car ici cela veut dire: «puisque vous nous accordez votre aide, nous allons travailler encore plus.»

Ouahigouya, fin octobre 2010 Yam pouiré – Monique Raemy

2010/2011, 4e envoi

Il en faut de beaucoup pour que je puisse écrire que : «ma vie s’écoule comme un long fleuve tranquille». Cette année, si la saison des pluies s’est déroulée tardivement, les averses ont été assez fréquentes pour qu’elle soit considérée comme bonne. En certains endroits, les précipitations ont même été trop importantes. Je croyais d’ailleurs cette période terminée lorsque je me suis retrouvée au milieu d’une tempête. L’apocalypse! En fin d’après-midi, le ciel est devenu noir. Noir d’encre! Puis il a lentement viré au jaune pour atteindre le jaune citron, et enfin il était noir strié de jaune. A regarder, c’était aussi inquiétant que magnifique. Un vent à décorner les bœufs s’est alors levé, toutes portes et fenêtres fermées, mes papiers s’envolaient de partout à l’intérieur même de la maison. Puis le tonnerre s’est mis à gronder sans interruption pendant que des éclairs de chaleur zigzaguaient dans le ciel toutes les 20 secondes. Et d’un coup d’un seul, une pluie torrentielle accompagnée de grêlons s’est abattue sur la ville. Sous mon toit de tôle ondulée, le bruit était assourdissant! C’est bien entendu juste à ce moment là qu’il y a eu coupure de courant. Nuit noire ! A peine allumées, mes bougies s’éteignaient à cause du vent. Assise sur une chaise, ma petite lampe de poche en main, il ne me restait plus qu’à attendre que ça passe en essayant de ne pas faire trop attention aux margouillaz, geckos et autres crapauds venus se mettre à l’abri sous mon toit ! Vers 21h, lumière plus ou moins revenue, c’est-à-dire entre 2 coupures, je me suis couchée, harassée par l’événement. Le matin il n’y avait pas de dégâts dans ma cour ni dans celles de mes voisins, les maisons du voisinage ont tenu bon comme la mienne. Malheureusement, la plupart des pépinières qui avaient été mises en place dans les bas-fonds ont été inondées, tout est perdu. Il faudra recommencer >yéll ka ye ! (c’est-à-dire : pas de problèmes, comme ils disent ici)
Un samedi d’octobre, j’ai été invitée à participer à un mariage dans la famille de Madame Cécile Belloum, ministre dans le gouvernement actuel. Les préparatifs d’un tel mariage commencent vers 5h30 du matin. Quelques ami(es) se retrouvent pour décorer mairie, église, salle de réception et voiture nuptiale, pendant que d’autres cuisinent une multitude de plats différents afin de satisfaire à tous les goûts. Vers 8h, fuite de toutes ces aides pour aller «se faire beau»! A 9h, je suis avec une cinquantaine de personnes devant la mairie pour accueillir la mariée qui arrive avec son père et …qui reste dans la voiture familiale parquée en plein soleil au milieu de la cour?! «Monsieur» a pris du retard en allant chercher la voiture décorée et il faut attendre son arrivée! Heureusement, notre mariée n’a pas encore complètement fondu lorsque son futur époux la délivre enfin de son supplice en ouvrant la portière. Madame l’adjointe au maire peut maintenant procéder à la cérémonie. Les bagues respectives sont montrées à toute l’assistance avant d’être passée au doigt de l’aimé(e). Puis le couple sort, sous les applaudissements nourris de tous les participants, on continue à pieds ou en voiture jusqu’à l’église, dans laquelle une soixantaine d’autres personnes ont déjà pris place.

Deux curés et un abbé très en verve, un chœur ad hoc avec deux excellents solistes ainsi que plusieurs orateurs nous font participer à une superbe cérémonie. Les bagues ayant entretemps été enlevées, les mariés procèdent au même cérémonial que ce matin, on les montre au public avant de les remettre sous un nouveau tonnerre d’applaudissement. Tam-tam et djambé commencent alors à jouer et tout le monde se met à danser ! On fait une grande farandole dans l’église, mariés en tête, sous l’œil bienveillant des officiants. La cérémonie se poursuit ensuite avec … le baptême de l’enfant des mariés. Il aura bientôt 3 ans, il est tout en blanc et paraît absolument ravi dans les bras de son parrain. Le curé annonce en souriant que: « ce n’est pas là chose normale, mais que lorsqu’on étudie il vaut mieux attendre pour se marier»?! C’est en riant et plein d’entrain que l’on sort de l’église, accompagnés par les tam-tams et les djambés. La fête se poursuit par le repas pantagruélique préparé le matin, et continue dans une cour de la «grande» famille du marié. Les boissons coulent à flots et les danses ne cesseront, faute de combattants, qu’à la tombée de la nuit. Les invités s’en vont alors lentement, il ne reste maintenant plus qu’environ 35 personnes, famille et amis proches. On m’a priée de rester, et j’aurai ainsi l’insigne honneur de participer à la dernière étape des cérémonies prévues, celle de l’achat de la mariée !! >Il faut faire ici une parenthèse pour mentionner que sous le ciel des villages burkinabè, l’homme doit être accompagné de toute sa famille lorsqu’il se rend dans la cour de l’élue pour demander sa main. C’est à la suite des palabres et des promesses faites ce jour-là que celle-ci deviendra ou non sa femme! Pour les moins fortunés, si les familles se mettent d’accord et que la dot et les cadeaux sont apportés lors d’une 2e rencontre familiale, le couple se contentera de cette cérémonie et sera ainsi marié traditionnellement. Pour ceux qui le veulent ou qui en ont les moyens, la vie continue après la demande officielle jusqu’au jour du « vrai » mariage avec mairie et mosquée ou église. Mais, si la dot avait été mentionnée lors de la première rencontre, sans le mariage traditionnel au cours duquel celle-ci est remise, la mariée n’est en fait pas encore achetée! En fait, la remise de la dot est affaire privée, et se passe avant le jour J. Mais la maman, les sœurs et les belles- sœurs vivant dans la cour de la famille doivent elles aussi recevoir des cadeaux en compensation de la « main-d’œuvre » qui leur est retirée, et du surcroît de travail qu’elles auront à gérer<. La mariée, revenue préalablement dans la cour est «séquestrée» par sa famille jusqu’à ce que les cadeaux atteignent ce que celles-ci désirent. L’heureuse élue ressort alors avec une «suiveuse» portant sur la tête le peogho traditionnel, c’est-à-dire un grand panier rempli de casseroles, de tasses, d’assiettes et autres ustensiles de cuisine. Nous retournons maintenant en cortège dans la famille du marié, d’où ce dernier s’éclipse très vite en compagnie de ses amis, bientôt suivis de tous les derniers invités. La mariée passera la nuit dans une chambre de la famille, sous la haute surveillance d’une grande sœur ou d’une tante. Le dimanche matin, l’heureux époux viendra chercher définitivement sa dulcinée, ce qui donnera lieu à une dernière petite fête. (Comme chez nous, les cérémonies varient d’une province à l’autre, et si la dot reste quelque chose de tabou, «l’achat de la mariée» n’a plus cour partout ou est une tradition que l’on respecte en souriant). Revenons à notre quotidien ! C’est encore et toujours un grand plaisir que de participer aux actions de mes amis de Burkina Vert. Leur travail lors de toute la période des récoltes m’a encore une fois ébahie. Tout, absolument tout se fait encore à la main. Sur le terrain de Bogoya, ce sont deux hectares de mil et de sorgho qui ont été récoltés en une journée. Machette ou daba en main les hommes coupent les longues tiges à quelques centimètres du sol et les mettent en tas. Des femmes séparent alors le mil du sorgho et coupent les tiges au couteau à la hauteur des épis. D’autres viennent avec de grands paniers tressés, elles les remplissent de l’une ou l’autre variétés, et les transportent ensuite sur leur tête pour aller les vider devant une charrette. D’autres femmes, plus âgées ou moins solides ramassent ces épis et les disposent dans la charrette de façon très précises, debout sur le restant de la tige pour le mil, couché pour le sorgho, en faisant bien attention de ne rien perdre. Quand la charrette est pleine à craquer, elle est attelée à un âne et le convoi part sous la conduite d’un jeune garçon. Pendant ce temps, le «vieux» choisi les spécimens de sorgho lui paraissant les plus adéquats pour en faire de bonnes semences puis, assis par terre, il va les tresser artistiquement en gros bouquets au moyen de ses mains et de ses pieds sous l’œil attentif de ses petits-enfants. Les «bouquets» sont ensuite attachés avec d’une ficelle qu’il a préalablement confectionnée avec l’écorce des arbustes environnants. Vers 13h, un repas est pris en commun amené par les femmes venues à pied du village ou cuit directement sur place dans une casserole posée sur un feu de bois préparé entre deux briques. Réconforté par le benga (plat traditionnel composé de haricots locaux et de riz) tout le monde retourne au travail. Quant il ne reste plus rien sauf quelques fleurs de bissap et quelques tiges d’oseilles, on s’en retourne qui à pieds, qui en vélo ou en moto et les derniers avec nous, mais dans….la benne de la camionnette ! A Koura Bangré, les murs de la banque de céréales ont été crépis définitivement. J’apprends ainsi qu’il faut toujours que les murs soient tapés par la pluie avant le crépi définitif, ainsi les façades sont plus belles et plus solides. Les villageois tenaient à me montrer le bâtiment définitivement terminé. Et moi qui croyait qu’ils n’allaient pas le faire et qui m’étais permise de râler ! Honte à moi ! Mais aujourd’hui, nous sommes là pour assister à la mise en place du périmètre maraîcher offert aux femmes. Hommes et femmes sont déjà en plein travail, les premiers font des trous à la barre à mine en sortant la terre à pleines mains pendant que les femmes amènent de longs bois sur leur tête. C’est le début de la clôture. Avec des cris de joie et des applaudissements, brouettes, pelles, pioches, grillage et autres sont ensuite sortis de la camionnette. Tout le monde se remet au travail, les unes tiennent les bois dans les trous préparés pendant que les autres remplissent ces derniers avec des cailloux déterrés et cassés sur place au fur et à mesure et de la terre que l’on tasse bien. Etrange procédé, mais ça tient très bien. Pendant que j’admire le très beau puits, bien busé, qui vient d’être construit à l’intérieur du périmètre, les villageois vont déposer les outils apportés dans le magasin attenant à la banque de céréales. Ce jardin donnera aux femmes du village un élan supplémentaire. Les légumes récoltés permettront d’améliorer sensiblement les repas familiaux et le surplus, vendu sur les marchés locaux, leur apportera une petite aide pécuniaire bienvenue pour payer leurs condiments, les médicaments contre un palu, une paire de chaussure pour un enfant, un nouveau pagne etc. Nous reviendrons ici en janvier avec des amis qui viennent voir nos travaux sur le terrain, et je me réjouis déjà de voir les progrès réalisés par ces femmes qui ont pratiquement toutes participé à un petit cours de maraîchage. Hélas, journalier aussi! En début de semaine, un jeune homme s’est tué à moto en collisionnant un bœuf au milieu de la route. La suite est plus difficile à comprendre pour nos mentalités occidentales : plusieurs personnes ont effectivement vu un bœuf, mais personne n’en a retrouvé ensuite la trace et personne ne l’avait vu avant l’accident non plus. Ici, tout le monde « sait » et croit dur comme fer que le bœuf en question était en fait un génie qui en voulait à ce jeune homme pour une raison quelconque. La seule question qui se pose maintenant est de savoir si le génie a été envoyé par un sorcier sur commande d’un tiers pour une vengeance ou si c’est un génie du mal qui s’amuse. J’avoue humblement qu’à force d’entendre les gens parler de ces génies, même les professeurs, les lettrés et autres universitaires, je finis par y croire, et ce n’est pas rassurant du tout. Les élections présidentielles ou la farce de l’année! D’un côté un Président en place qui annonce ses déplacements par voie radiophonique et télévisée, qui arrive accompagné d’une caravane de gros 4x4, qui fait venir hélicoptère, parachutistes, groupes musicaux et chanteurs et dont les responsables de campagne ne rechignent pas à aller chercher des villageois tous azimuts par camions entiers pour augmenter la quantité des participants aux meetings prévus, et à qui sont offert t-shirts, pagnes ou casquettes ou, de temps à autre quelques menues monnaies. De l’autre, un indépendant venu de Belgique afin qu’aux prochaines élections le petit frère du président en place puisse se positionner en indépendant sans être le premier à le faire, un vieux «lion» encore rugissant mais bien édenté, deux personnages sans beaucoup de couleurs sauf celles de leur parti respectif en pleine dérive, ainsi que deux candidats de format présidentiable, avec de bons programmes respectifs, l’un malheureusement sans charisme, l’autre trop peu connu dans les provinces. Relevons que ces six candidats n’ont pas les moyens financiers de faire une campagne digne de ce nom, >on ne relève leur passage dans les provinces qu’après coup, ils se déplacent en voitures normales, l’un d’eux est même tombé en panne et a du continuer en bus. Les éventuels cortèges qui se forment à leur arrivée sont généralement constitués de plus de motos et vélos que de voitures. Ajoutons à cela la gabegie monumentale qui a précédé les votations. Avec la volonté d’en créer de nouvelles plus fiables, la CENI (Commission Electorale Nationale Indépendante) a fait sortir les cartes d’électeurs trop tard, et en plus, non conformes à l’article 53 du code électoral. Malgré les demandes de renvoi et les démissions, rien n’a été entrepris avant que ce ne soit trop tard et, c’est grâce à un décret présidentiel que l’article 53 a été modifié le 21 octobre sur demande du Président de ladite CENI, mais sans que les autres membres n’en soient informés. Ainsi, la votation a donné lieu à d’invraisemblables magouilles. De fausses cartes étaient encore imprimées ici la nuit avant les élections, j’ai vu des cartes édifiantes sur lesquelles il y avait par exemple une photo de jeune femme avec des nom et prénoms masculins, ou la photo d’un vieillard avec une date de naissance de l’année 1990. Et ces cartes ont été acceptées ! La carte d’identité (que beaucoup ne possèdent pas faute de moyens) et le certificat de naissance (que beaucoup ne possède pas non plus) pouvaient exceptionnellement remplacer la carte d’électeur. Encore fallait-il s’être inscrit sur une des listes d’électeurs établies au préalable. Tout cela alors que tout le monde savait que le Président sortant allait être réélu ! Tout cela juste pour que le monde ne voit pas que le peuple burkinabè n’est pas d’accord avec la gouvernance, mais qu’il n’a simplement pas le choix. Edifiant: après la votation, la déposition d’une plainte pour carte d’électeur illégale a été reçue et Madame le Juge Bagoro a eu le courage de juger comme illégale la carte officielle de la CENI. Fallait-il donc tout recommencer tout en sachant que le résultat resterait le même ? Non, comme l’ont écrit les journaux, entre autre sous le titre :

Retour sur une foire électorale: « plus que l’identité du gagnant, connu depuis belle lurette, l’enjeu du scrutin résidait dans son score et dans le taux de participation». Alors voilà : sur un potentiel de 8 millions d’électeurs, il y a eu 3’239’777 inscrits et malgré les magouilles, il n’y a que 1’358’941 Burkinabè qui sont allés aux urnes. C’est donc sur moins de 10% de la population burkinabè que repose la légitimité du président. La population est estimée cette année à 15 millions d’habitants. Ce n’est donc que le mardi 7 décembre que la décision du Conseil constitutionnel est tombée et que nous avons eu droit à la proclamation des résultats définitifs. Et même si la lecture de la décision de non annulation vaut son pesant de guano, je vous en fais grâce.

Si après mûres réflexions j’ai décidé d’écrire ce dernier chapitre, c’est juste parce que j’avais envie de vous faire partager mon vécu quotidien au plus près des événements et de vous montrer dans quel imbroglio se trouvent nos amis. Je comprends mieux maintenant le pourquoi de certaines réticences et de leur défiance envers tout ce qui est gouvernemental.

Ouahigouya, début décembre 2010 Yam pouiré , Monique Raemy